Pourquoi les violeurs ne sont-ils jamais condamnés ?
- Publié le23 juillet 2023
Fraîchement acquitté, Benjamin Mendy va garder un maillot orange la saison prochaine. Photo Sipa/Peter Powell
Pourquoi les violeurs ne sont-ils jamais condamnés ?
Samedi 15 juillet, Benjamin Mendy a été déclaré non coupable de viol par la justice anglaise. 5 jours plus tard, mercredi 19 juillet, le tricolore a signé au FC Lorient. Peut-être est-il tout à fait innocent. Il n’empêche que l’image que renvoie cette affaire est très symbolique et révèle une certaine impunité. La justice n’en a-t-elle rien à faire des violeurs ?
Un problème de droit ?
Ainsi, s’agissant des viols pour lesquels une plainte a été enregistrée par la police, les chiffres du ministère de la justice indiquent que seuls 14,7 % ont donné lieu à une peine. Ce qui est toujours effroyablement peu, mais 25 x plus que le chiffre de 0,6%. Je ne dis pas « effroyablement » parce que je considère que le droit français laisse passer les violeurs. Je dis « effroyablement » parce que nous savons que parmi les 85,3% restant il y a énormément de coupables que l’on n’arrive pas à voir. Le viol est un problème social qui n’arrive pas à disparaitre grâce au droit. Ce dernier n’y peut pas grand-chose : le viol est déjà un crime aux lourdes conséquences ; la peine peut aller jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle.
C’est autre chose de plus profond qui bloque le processus pénal. D’abord, les preuves de viol sont minces ou alors minimisées. Les souvenirs peuvent être flous et puisque les viols sont pour la plupart commis par un proche, les pressions sont fortes pour abandonner la poursuite. Sans parler des plaintes déposées des mois après le viol ou bien du défi de prouver le non-consentement de la victime. Pour couronner le tout, les preuves matérielles (traces de lutte, coups sur la victime, adn du violeur, etc.) sont parfois disparues quand la victime décide de porter plainte. On touche ainsi au principal problème structurel qui conduit à l’impunité des violeurs : pas de preuve, pas de condamnation.
« Il est tout à fait possible que le viol ait eu lieu, mais rien ne peut l’attester. Et s’il reste juste le sentiment ou la sensation d’avoir été victime de quelque chose, cela ne suffit pas à la justice pour déclencher des poursuites pénales ».
Culture du viol
La colonne vertébrale du droit français est ainsi la cause de cette impunité. Cependant, on ne peut déroger au principe de présomption d’innocence, car s’il sert les violeurs, il sert aussi les honnêtes citoyens innocents. Il faut donc chercher ailleurs : dans la culture du viol. Ce concept caractérise tout ce qui minimise, normalise ou même encourage le viol et est une grosse partie de la réponse à notre question.
Alors même que la loi prévoit de lourdes peines contre les violeurs, ces derniers ne sont jamais condamnés car la culture du viol met des bâtons dans les rouages de la justice. Tout est fait pour désarmer la Justice.
La culture du viol prolifère au sein même de la justice, puisqu’elle est rendue par des êtres humains. Aussi emplis de bonnes intentions, les juristes sous soumis par-delà leur volonté à cette idéologie. Le Goaziou a montré à travers l’étude de trois séries de jugements comment les juges minimisaient les plaintes pour viols. La sociologue remarque cependant une nette amélioration dans les jugements plus récents lesquels prennent en compte l’environnement complexe dans lequel évolue la victime de viol.
Mais la culture du viol agit également en amont afin de prévenir une potentielle plainte. Plus encore, la culture du viol fait que le coupable comme la victime ne sait pas ce qu’est un viol. Est-ce quand je dis non et que finalement je cède ? Ou plutôt est-ce quand il me prenne de force et me pénètre alors que je me débat ? Le rapport sexuel est même considéré pour certains comme faisant partie du devoir conjugal ; il n’y a donc plus de volonté dans l’acte sexuel mais plus qu’une obligation.
Le viol peut et doit être puni
Il me parait cependant dangereux de partager le discours de l’impunité dont le fameux 0,6 % en est le symbole. Il faudrait aussi insister sur les bienfaits de la plainte précisément pour lutter contre la culture du viol.
« Le faible taux de condamnation des auteurs présumés peut dissuader les victimes de mobiliser l’institution judiciaire »
Véronique Le Goaziou
On l’a vu, le principal problème réside dans l’absence de plainte qui elle-même est dûe à cette normalisation du viol. Les violeurs sont peu condamnés parce que les victimes ne portent pas plainte en partie à cause de la culture du viol et parce les juges sont sujets à cette dernière. Ainsi, les affaires sont classées sans suite les unes après les autres, remuant encore un peu le couteau dans la plaie des victimes impuissantes.
[1] Le 3 avril 2018, des militantes féministes avaient publié des centaines de témoignages sur ce mauvais accueil. Evidemment, ces témoignages n’ont pas été récoltés de manière scientifique, cependant ils semblent assez nombreux et si rarement critiqués qu’il me semble utile de les citer.
[2] Le Goaziou, V. (2019). Viol: Que fait la justice ?. Presses de Sciences Po. https://doi.org/10.3917/scpo.goazi.2019.01