Les statistiques ethniques, une épine dans la république ?

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Les statistiques ethniques, une épine dans la république ?

Rapide zoom sur le cas particulier français concernant les statistiques ethniques.

Souvent mal comprises, les statistiques ethniques ne nourrissent pas toujours le débat d’une façon très constructive. Ce dernier est souvent manichéen et oppose des soi-disant républicains à des antiracistes avides de montrer de quelle manière les minorités sont des victimes en France, et à des droitardés jouissant à l’idée de faire éclater la vérité selon laquelle les noirs, les arabes et les musulmans seraient des criminels par la seule raison de leur culture.

Mais que se cache-t-il derrière ce repli républicain ? Où en est-on réellement avec les statistiques ethniques ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les statistiques ethniques sont déjà autorisées en France, mais elles sont strictement encadrées par, entre autres, la loi informatique et liberté de 1978. Ces statistiques ainsi élaborées en France – en grande partie par l’Insee et l’Ined – correspondent à des données objectives (ex : lieu de naissance) et à des données subjectives (ex : ressenti d’appartenance). Nous sommes loin de l’imaginaire fichage ethnique, « racial », religieux, syndical, politique ou encore de l’orientation sexuel. D’ailleurs, chaque enquête doit être autorisée par la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et le conseil national de l’information statistique (CNIS). Les statistiques ethniques servent ainsi à rendre compte scientifiquement de la diversité de la population en France. Les enquêtes doivent respecter l’anonymisation des enquêtés, leur consentement et leur protection. L’on peut citer l’enquête Trajectoire et Origine n°2 (TeO 2, 2019), particulièrement importante (près de 26 000 enquêtés) qui s’intéressait notamment à l’identité des Français et à la discrimination selon leur origine géographique.

« Il est néanmoins possible d’aborder le critère de « l’origine » à partir de données objectives telles que le lieu de naissance et la nationalité à la naissance de l’intéressé et de ses parents, mais également, si nécessaire, par des données subjectives portant sur le ressenti d’appartenance ou sur la manière dont la personne estime être perçue par autrui. »

CNIL et le Défenseur des Droits, Mesurer pour progresser vers l’égalité des chances, 2012.

Cependant, les Français ne voient pas d’un très bon œil ces statistiques ethniques, elles semblent rappeler le fichage des juifs sous Vichy. Comme vous le savez, la France est une république indivisible et prône ardemment l’universalisme. Par le premier article de sa Constitution, elle « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». Certains comme Hervé Le Bras se plaignent alors de la « racialisation des questions sociales », et invoquent donc l’universalisme républicain.

Pour Jean Luc Mélenchon, « les statistiques ethniques sont un naufrage intellectuel« . Il distingue très clairement le modèle anglosaxon qui « réduit l’identité de chacun à son particularisme réel ou supposé ». Elles défont ce qui fait de la France ce qu’elle est.

« Identifier les personnes selon leur appartenance ethnique « renforce les appartenances communautaires, au lieu d’œuvrer pour l’universalisme. »

Hervé Le Bras, démographe et historien dans une tribune du Monde.

Mais tous ne sont pas de son avis. En outre, tribune après tribune, certains scientifiques essaiment l’idée selon laquelle la France serait trop frileuse en matière de statistiques ethniques et qu’elle devrait se rapprocher (sans se bruler les ailes) des modèles américain ou anglais qui eux, n’ont aucun gène à utiliser ces statistiques. Selon ces intellectuels, notre regard sur notre société française doit être intersectionnel afin de pouvoir analyser en profondeur toutes les difficultés que peuvent rencontrer les Français. Face à l’argument républicain, ils répliquent que les statistiques doivent justement servir à affirmer ou non l’effectivité de nos valeurs républicaines. Ainsi, les statistiques ethniques sont un outil sociologique comme un autre. Que risque-t-on vraiment en les utilisant ? Y-a-t-il un risque de division nationale ? Les statistiques ethniques permettent de légitimer une réalité. Dans tous les cas, cette réalité est malléable par les discours de ceux qui pensent que les contrôles au faciès sont racistes, ceux qui disent que les minorités sont surreprésentées dans les crimes, etc. Soit l’on reste dans notre inexactitude statistique et sociologique, soit l’on met des chiffres sur la réalité. Parler d’un supposé pacte républicain qui tomberait en miettes est un non-sens. Il est brisé depuis longtemps par le mythe méritocratique, les écrasantes inégalités sociales et j’en passe. Le communautarisme fait déjà rage dans notre beau pays. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’y a pas un unique peuple français, ce n’est qu’un secret de polichinelle. Cela revient à se plaindre de l’accident une fois à l’hôpital. Prendre connaissance du réel, ce n’est pas toujours agréable.

Prenons un autre exemple que celui de l’origine : le sexe. Il est tout à fait normal de faire des statistiques différents selon le sexe afin de mesurer nos différences, qu’elles soient de traitement, de statut, d’envie, … La socialisation genrée est telle qu’elle régit en partie nos vies en occident. S’il est clairement institué que les hommes et les femmes sont différents et n’ont pas les mêmes expériences au cours de leur vie, pourquoi ne pas exprimer un constat similaire entre différents individus qui ont reçu une tout autre éducation due à leur origine géographique ? Ne pas s’intéresser à ces différences, c’est invisibiliser leurs conséquences, qui peuvent être de la discrimination, des pratiques différentes, une hausse de la criminalité…ou même une non-inclusion au peuple français, ce que redoutent le plus les républicains. Une déclaration grandiloquente, c’est bien, mais ça ne se traduit pas toujours dans la réalité.

« C’est en regardant les réalités en face que nous pourrons promouvoir autrement qu’en paroles les idéaux de la nation. »

François Héran, sociologue, démographe et anthropologue dans une tribune du Monde.

Au lieu de débattre en s’appuyant sur des études instables et de qualité questionnable sur des sujets sensibles comme la population carcérale, la criminalité et évidemment les discriminations raciales, nous devrions peut-être généraliser les études ethniques que l’on réalise déjà afin de fournir des données empiriques fiables. Ces données sont la première marche vers des enquêtes sociologiques pouvant analyser plus finement ces sujets, et alors fournir de solides conclusions pouvant donner naissance à des solutions, qui elles, redonneront davantage son éclat à l’universalisme républicain.

« C’est une schizophrénie bien française : on vous interdit de faire des statistiques, mais quand on avance prudemment une approximation entourée de tous les conditionnels, on vous affirme que vous avez tort. »

Farhad Khosrokhavar, sociologue, dans son livre Prisons de France

Néanmoins, l’idée n’est absolument pas de glisser progressivement vers la mise en place d’un référentiel ethno-racial – c’est-à-dire l’autodétermination de l’ethnie, de la race, par les habitants – comme nos amis les rosbifs. Cette pratique est à bannir et a d’ailleurs été déclarée anticonstitutionnelle en 2007. Seulement, il me parait aujourd’hui nécessaire de produire de l’empirie face aux déluges d’inepties et d’inexactitudes que l’on entend dans les différents médias. Quand les scientifiques s’en plaignent, les politiques étouffent le problème à grands coups de masse républicaine.

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