Inégalités salariales : pourquoi les femmes travaillent moins que les hommes ?

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Inégalités salariales : pourquoi les femmes travaillent moins que les hommes ?

Selon l’Insee, les femmes françaises perçoivent un salaire inférieur de 24% à celui des hommes (Insee, 2023). Pour obtenir ce chiffre, on additionne tous les salaires annuels des deux sexes et on les compare. Une telle différence est-elle vraiment illégitime quand on sait que les femmes travaillent moins et occupent des postes moins rémunérés ? Lorsqu’on rééquilibre le plus possible les situations comparées, on obtient une différence de 4,3 % (Ibid) dans le secteur privé, voire de 2,7 % (The Economist, 2017 [en]).

 

Ben voilà il n’y avait pas besoin de s’inquiéter !

Ce paragraphe, j’aurais pu l’écrire il y a deux ou trois ans, mais entre temps, j’ai réfléchi. A l’époque j’avais vu la vidéo du Raptor intitulée : « Le MENSONGE des Inégalités Salariales Hommes Femmes ». Il m’avait convaincu et j’avais même partagé ses arguments à mes amis. Quand je regarde cette vidéo aujourd’hui, je la trouve furieusement idéologique et partielle. Toute la subtilité relève dans une question : pourquoi les femmes sont-elles moins bien payées ? La réponse est mathématique : moins de volume de travail et travail moins rémunérateur. Une réponse simple, efficace, qui enterre la question.

Laissez-moi la déterrer, car elle est toujours vivante.

De quoi parle-t-on déjà ?

Revenons-en au début de la démonstration. En effet, en 2021 dans le secteur privé le revenu des femmes était en moyenne de 24,4% inférieur à celui des hommes. A cette étape tout le monde est d’accord étant donné la renommée de l’Insee. Ce fait est expliqué par deux principales raisons :

Premièrement, les femmes travaillent moins que les hommes. On parle d’inégalité de volume de travail. Si on rééquilibre le volume de travail en l’analysant en équivalent temps plein (eqtp), on obtient une différence de 15,5% en faveur des hommes. Deuxièmement, les femmes occupent des métiers moins bien rémunérés à volume de travail équivalent, que ce soit du fait du secteur ou du fait de la place dans la hiérarchie. Selon l’Insee, en 2017, « 68 % de l’écart [en eqtp] provient du fait que les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes postes » (Insee, 2017).

Lorsque nous avons intellectuellement éliminé ces deux problèmes, il reste un résidu inégalitaire (le fameux 4,3% du secteur privé) qui peut s’expliquer par un tas de différents facteurs dont des différences de productivité, de diplôme, de négociation salariale, ou encore par de la discrimination. Soit autant de facteurs difficilement quantifiables aux conséquences faibles qui me semblent moins intéressants. En tentant de vous expliquer l’inégalité salariale via le temps de travail et le choix du métier, je crois (re)donner sa réelle importance à la question.

Elles travaillent moins

Pour expliquer leur volume de travail moindre, on dit souvent que les femmes concilient vie de famille et vie professionnelle. La réalité est différente. D’abord, « vie familiale » est un terme imprécis qui ne dit rien des responsabilités qu’implique leur rôle de mère. En outre, les femmes passent plus de temps à s’occuper des enfants ou des tâches domestiques que leur conjoint. L’effet naissance n’est plus à prouver (Coudin et al, 2019), mais s’arrêter à cette explication est insuffisant. Alors même que leurs enfants deviennent plus indépendants, les femmes travaillent toujours moins que les hommes et l’écart ne se réduit pas (Insee, 2023). De plus, même les femmes de moins de 25 ans travaillent moins que leurs homologues masculins alors qu’en moyenne, les femmes accouchent de leur premier enfant à l’âge de 28 ans (Insee, 2012). Pour résoudre ce mystère, il faut enquêter auprès des salariés en temps partiel.

Quand un enfant nait, la femme s’occupe de lui au détriment de sa vie professionnelle. C’est l’”effet parenté” notamment développé par Claudia Goldin, prix Nobel d’économie. Infographie : JOHAN JARNESTAD / THE ROYAL SWEDISH ACADEMY OF SCIENCES

Temps partiel

Il existe un lien clair et intergénérationnel entre les femmes et le travail à temps partiel. En outre, 28% des salariées travaillent en temps partiel et 79,3% des salariés à temps partiel sont des femmes (Insee, 2022). Et contrairement aux idées reçues, le temps partiel n’est pas l’outil magique – pour ceux qui privilégient des rôles sexuées – qui permettrait de donner aux femmes le temps de s’occuper de leur enfant et de leur maison. La distinction qui existe entre temps partiel choisi et contraint est intéressante mais très floue. En outre, on peut choisir d’exercer un métier à temps partiel mais ne pas pouvoir augmenter son volume de travail par la suite (temps partiel contraint). De plus, la particule « choisi » est beaucoup débattue puisqu’en effet, le choix pour une mère seule de moins travailler parait moins libre que le choix d’une femme sans enfant qui travaillerait moins pour avoir plus de temps libre. D’ailleurs l’Insee a beaucoup changé ses questions au cours de ses différentes enquêtes. C’est pourquoi je n’en parlerai pas.

Lors de sa dernière enquête l’Insee s’est concentrée sur les raisons du temps partiel. Ces statistiques permettent de briser le mythe de la femme conciliant vie de famille et vie professionnelle. Il y a en réalité deux principales raisons au temps partiel. 28,6% des femmes à temps partiel le sont « pour s’occuper de ses enfants ou d’un proche » alors que 27,2% le sont faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet (Insee, 2022). On remarque également la part non négligeable de femmes travaillant à temps partiel « pour avoir du temps libre » (15,9%).

« Si le travail à temps partiel occupe une place aussi importante, c’est parce que le recrutement se fait d’emblée à temps partiel : pour nombre d’emplois peu ou pas qualifiés, on embauche presque toujours à temps partiel pour ensuite, éventuellement, transformer le contrat de travail en un temps plein. Ceci ne signifie pas que tous les salarié-e-s sont embauché-e-s à temps partiel, mais que tous les emplois à temps partiel résultent d’une embauche. Dans ce système, le passage du temps partiel au temps plein se fait toujours dans le même sens : les responsables du personnel gèrent des « listes d’attente » de salarié-e-s à temps partiel qui souhaitent un poste à temps plein, et non l’inverse. » 

Choix de métier

En plus des jeunes mères, il y a les femmes qui n’ont pas de jeunes enfants et qui sont bloquées dans des métiers à faible volume parce que, tout simplement, le « temps partiel s’est développé là où il y a beaucoup de femmes, dans les secteurs qui constituent les bastions de l’emploi féminin. » Autrement dit, ce n’est pas parce qu’elles veulent moins travailler qu’elles sont à temps partiel, mais parce que les femmes exercent des métiers dits féminins, lesquels sont pour beaucoup à temps partiel. C’est une curieuse conclusion : l’essence même du temps partiel, à savoir un volume de travail moindre, n’est pas toujours déterminant.

Il reste cependant un point d’ombre : pourquoi les femmes exerçant un métier à temps partiel choisi pour s’occuper des enfants (28% des femmes à temps partiel) n’augmentent pas leur temps de travail ? En effet, selon l’Insee, le volume de travail des femmes est de 0,73 (je n’ai pas vraiment compris quelle est l’unité de cette donnée, mais en gros plus le chiffre est grand, plus le volume de travail moyen est important) à la fois pour les 40-49 ans et les 50-59 ans (Insee, 2023).  Une hypothèse de réponse probable est qu’à cet âge elles ne se sentent pas capables d’augmenter leur volume de travail voire y sont habituées. Ce n’est qu’après 60 ans que le volume de travail diminue, et cela chez les femmes comme chez les hommes.

Structure genrée du marché du travail et rôles sociaux

Alors que l’Etat français s’employait à donner un statut avantageux au temps partiel au début des années 80, le Comité du travail féminin, une branche du ministère du travail, mettait en garde : « La comparaison entre les pourcentages d’hommes et de femmes travaillant à temps partiel fait ressortir le risque que cette modalité de travail renforce davantage encore la segmentation du marché du travail entre postes masculins et postes féminins ». Et ça n’a pas loupé, puisque le travail à temps partiel « a fait régresser la participation féminine à l’activité économique en recréant des zones d’emploi “spécifiquement féminines“ », nous expliquait Margaret Maruani (1954-2022), sociologue spécialiste du travail.

Travail gratuit

La question du volume de travail est donc étroitement liée avec la question de la ségrégation professionnelle entre les sexes ainsi qu’avec leurs rôles de femme et de mère qui impliquent un travail plus important hors du monde du travail. En outre, le travail domestique ne produit aucun salaire mais si on le comptabilise, cela augmenterait considérablement le volume de travail des femmes. A vrai dire, elles passeraient même au-dessus des hommes. Aujourd’hui, les femmes passent en moyenne (tous jours confondus) 2h13 par jour à travailler professionnellement, contre 3h32 chez les hommes (Insee, 2011 ; j’ai ajouté le temps de trajet domicile-travail/étude, bien que ce temps prenne aussi en compte le temps de trajet des étudiants). Mais en termes de travail domestique, le rapport est inversé : les femmes travaillent en moyenne 3h52 alors que les hommes travaillent 2h24. Si on additionne les deux volumes de travail (travail professionnel + travail domestique), on s’aperçoit que les femmes travaillent 6h05 par semaine et que les hommes travaillent 5h55. A l’échelle d’une année, les femmes travaillent donc 61 heures de plus que les hommes, soit une semaine et demie environ. Etant donné que le smic horaire net est d’environ 9,22€, les femmes perdent à peu près 562 € par an. On remarque également que les hommes ont davantage de temps libre et ont plus de temps pour pratiquer un loisir. On peut ainsi émettre l’hypothèse que si, comme on l’a vu plus haut, les femmes sont plus nombreuses à déclarer exercer un emploi à temps partiel pour avoir du temps libre, c’est parce qu’elles ne profitent pas du temps domestique, transformé en travail [1].

Evidemment, cette démonstration relève plus d’un exercice intellectuel qu’autre chose puisqu’il me parait un peu aventureux de comparer le travail professionnel avec le travail domestique [2]. Cependant, elle permet d’envisager la question de l’inégalité salariale d’un œil nouveau qui interroge : pourquoi le travail domestique, donc un travail effectué en grande partie par les femmes, ne leur est-il pas proprement récompensé ? Ce qui nous mène à une autre question : pourquoi choisissent-elles des métiers moins rémunérateurs ? Le temps partiel, bien qu’important, représente moins d’1/3 des femmes salariées et on l’a vu, le temps de travail n’est parfois pas déterminant. Il semble exister une raison plus profonde qui régit les trajectoires professionnelles des femmes.

[1] J’aborde ici l’idée de la double journée qui stipule que les femmes vivent deux journées de travail, à la fois professionnel et domestique.

[2] Néanmoins, la comparaison est intéressante et on peut aisément transformer le mari en patron, les cadeaux en salaire – ou primes-, etc.

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