Inégalités salariales : pourquoi les femmes travaillent moins que les hommes ?

Inégalités salariales : pourquoi les femmes travaillent moins que les hommes ? Publié le21 septembre 2024 Crédit : Freepik Inégalités salariales : pourquoi les femmes travaillent moins que les hommes ? Selon l’Insee, les femmes françaises perçoivent un salaire inférieur de 24% à celui des hommes (Insee, 2023). Pour obtenir ce chiffre, on additionne tous les salaires annuels des deux sexes et on les compare. Une telle différence est-elle vraiment illégitime quand on sait que les femmes travaillent moins et occupent des postes moins rémunérés ? Lorsqu’on rééquilibre le plus possible les situations comparées, on obtient une différence de 4,3 % (Ibid) dans le secteur privé, voire de 2,7 % (The Economist, 2017 [en]). Ben voilà il n’y avait pas besoin de s’inquiéter ! Ce paragraphe, j’aurais pu l’écrire il y a deux ou trois ans, mais entre temps, j’ai réfléchi. A l’époque j’avais vu la vidéo du Raptor intitulée : « Le MENSONGE des Inégalités Salariales Hommes Femmes ». Il m’avait convaincu et j’avais même partagé ses arguments à mes amis. Quand je regarde cette vidéo aujourd’hui, je la trouve furieusement idéologique et partielle. Toute la subtilité relève dans une question : pourquoi les femmes sont-elles moins bien payées ? La réponse est mathématique : moins de volume de travail et travail moins rémunérateur. Une réponse simple, efficace, qui enterre la question. Laissez-moi la déterrer, car elle est toujours vivante. De quoi parle-t-on déjà ? Revenons-en au début de la démonstration. En effet, en 2021 dans le secteur privé le revenu des femmes était en moyenne de 24,4% inférieur à celui des hommes. A cette étape tout le monde est d’accord étant donné la renommée de l’Insee. Ce fait est expliqué par deux principales raisons : Premièrement, les femmes travaillent moins que les hommes. On parle d’inégalité de volume de travail. Si on rééquilibre le volume de travail en l’analysant en équivalent temps plein (eqtp), on obtient une différence de 15,5% en faveur des hommes. Deuxièmement, les femmes occupent des métiers moins bien rémunérés à volume de travail équivalent, que ce soit du fait du secteur ou du fait de la place dans la hiérarchie. Selon l’Insee, en 2017, « 68 % de l’écart [en eqtp] provient du fait que les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes postes » (Insee, 2017). Lorsque nous avons intellectuellement éliminé ces deux problèmes, il reste un résidu inégalitaire (le fameux 4,3% du secteur privé) qui peut s’expliquer par un tas de différents facteurs dont des différences de productivité, de diplôme, de négociation salariale, ou encore par de la discrimination. Soit autant de facteurs difficilement quantifiables aux conséquences faibles qui me semblent moins intéressants. En tentant de vous expliquer l’inégalité salariale via le temps de travail et le choix du métier, je crois (re)donner sa réelle importance à la question. Elles travaillent moins Pour expliquer leur volume de travail moindre, on dit souvent que les femmes concilient vie de famille et vie professionnelle. La réalité est différente. D’abord, « vie familiale » est un terme imprécis qui ne dit rien des responsabilités qu’implique leur rôle de mère. En outre, les femmes passent plus de temps à s’occuper des enfants ou des tâches domestiques que leur conjoint. L’effet naissance n’est plus à prouver (Coudin et al, 2019), mais s’arrêter à cette explication est insuffisant. Alors même que leurs enfants deviennent plus indépendants, les femmes travaillent toujours moins que les hommes et l’écart ne se réduit pas (Insee, 2023). De plus, même les femmes de moins de 25 ans travaillent moins que leurs homologues masculins alors qu’en moyenne, les femmes accouchent de leur premier enfant à l’âge de 28 ans (Insee, 2012). Pour résoudre ce mystère, il faut enquêter auprès des salariés en temps partiel. Quand un enfant nait, la femme s’occupe de lui au détriment de sa vie professionnelle. C’est l’”effet parenté” notamment développé par Claudia Goldin, prix Nobel d’économie. Infographie : JOHAN JARNESTAD / THE ROYAL SWEDISH ACADEMY OF SCIENCES Temps partiel Il existe un lien clair et intergénérationnel entre les femmes et le travail à temps partiel. En outre, 28% des salariées travaillent en temps partiel et 79,3% des salariés à temps partiel sont des femmes (Insee, 2022). Et contrairement aux idées reçues, le temps partiel n’est pas l’outil magique – pour ceux qui privilégient des rôles sexuées – qui permettrait de donner aux femmes le temps de s’occuper de leur enfant et de leur maison. La distinction qui existe entre temps partiel choisi et contraint est intéressante mais très floue. En outre, on peut choisir d’exercer un métier à temps partiel mais ne pas pouvoir augmenter son volume de travail par la suite (temps partiel contraint). De plus, la particule « choisi » est beaucoup débattue puisqu’en effet, le choix pour une mère seule de moins travailler parait moins libre que le choix d’une femme sans enfant qui travaillerait moins pour avoir plus de temps libre. D’ailleurs l’Insee a beaucoup changé ses questions au cours de ses différentes enquêtes. C’est pourquoi je n’en parlerai pas. Lors de sa dernière enquête l’Insee s’est concentrée sur les raisons du temps partiel. Ces statistiques permettent de briser le mythe de la femme conciliant vie de famille et vie professionnelle. Il y a en réalité deux principales raisons au temps partiel. 28,6% des femmes à temps partiel le sont « pour s’occuper de ses enfants ou d’un proche » alors que 27,2% le sont faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet (Insee, 2022). On remarque également la part non négligeable de femmes travaillant à temps partiel « pour avoir du temps libre » (15,9%). « Si le travail à temps partiel occupe une place aussi importante, c’est parce que le recrutement se fait d’emblée à temps partiel : pour nombre d’emplois peu ou pas qualifiés, on embauche presque toujours à temps partiel pour ensuite, éventuellement, transformer le contrat de travail en un temps plein. Ceci ne signifie pas que tous les salarié-e-s sont embauché-e-s à temps partiel, mais que tous les emplois à temps partiel résultent d’une embauche. Dans ce système, le passage du temps partiel au temps plein se fait
Pourquoi la criminalité est-elle plus importante en banlieue ?

Pourquoi la criminalité est-elle plus importante en banlieue ? Publié le13 juillet 2024 Le Pavé Neuf, Noisy-le-Grand, 2015 – Lorent Kronental Pourquoi la criminalité est-elle plus importante en banlieue ? La criminalité peut être expliquée par l’environnement. Quand on explique que la pauvreté est un facteur de la criminalité, on se heurte toujours à cet argument à l’allure implacable : le monde rural pauvre est moins criminel que les quartiers urbains pauvres. Si tous les pauvres étaient des criminels, la carte de la pauvreté calquerait avec celle de criminalité, or on voit bien que ce n’est pas exactement le cas. Le fait que la ville abrite à la fois les plus pauvres et les plus riches ne suffit pas non plus à expliquer ce phénomène – même s’il est déjà plus intéressant. En fait, on ne peut pas résoudre ce paradoxe si l’on n’aborde uniquement le fait criminel par le prisme économique. Il nous faut changer de focale. D’aucuns pensent déjà à l’argument culturel : il y aurait plus de criminalité en banlieue à cause de la culture de ses habitants. Dans un prochain article, j’interrogerai la force de cet argument, mais dans ces lignes, j’essaierai plutôt de montrer que ce qui conduit au crime ce n’est pas la population et sa culture propre, mais l’environnement ; pas le contenu, mais le contenant. Quel mal habite donc la ville pour que cette dernière contamine ses habitants d’une soif de crime ? Est-elle le « bouillon de culture » [1] dans lequel les délinquants se construisent et se révèlent ? Dans le film New York 1997 (1981), l’île de Manhattan est devenue une prison. Elle devient l’environnement naturel de toute sorte de criminels. Il n’y a plus de loi et les hommes se livrent aux pires violences. Désorganisation sociale Dans la première moitié du XXe siècle, l’Ecole de Chicago [2] s’est particulièrement distinguée par une théorie : celle de la désorganisation sociale. Elle stipule que la communauté doit maintenir ses membres à l’intérieur d’elle afin de prévenir le crime. Le contexte spatial est au cœur de la compréhension du crime. Le contrôle social est un fabuleux frein au crime (Felson & van Dijk, 1993). Si les individus sont solidement liés à une communauté (comme la famille [3], ou dans une forme plus extrême – et contestable -, l’Etat-Léviathan imaginé par Hobes), ils seront empêchés de flirter avec le crime. La désorganisation sociale ne conduit pas au chaos, mais elle met les habitants d’un territoire dans une position fragile : « [Ces quartiers] exposent leurs membres à des situations criminelles probablement plus fréquentes, ce qui oblige les habitants à adopter une posture de négociation et de transaction » (Jean Luc Besson, 2005). La désorganisation sociale peut produire de la violence. Contrôle social Or, c’est justement en ville que les habitants et en particulier les jeunes sont moins contrôlés par la communauté. L’interconnaissance est moins forte et on est bien plus anonyme dans la ville que dans un quartier rural. Certains portent d’ailleurs cet anonymat en détestation. Ici, le philosophe Thierry Paquot parlant des grands ensembles : « On s’y enferme ; on ne partage ensemble, avec ses voisins, que la nuisance sonore, les cages d’escaliers mal entretenues, les ascenseurs poussifs et régulièrement en panne, les espaces verts lépreux, les parkings anxiogènes, lesjeunes (en un seul mot) qui s’approprient le hall d’entrée, parlent fort, vident des bières, traficotent, se moquent des autres » (Paquot, 2019). Le philosophe porte un regard négatif sur le grand ensemble car il fait croire qu’il unit les gens alors qu’il les écarte. Pour un ancien délinquant et habitant de grand ensemble qui se confie sur France tv, il faudrait même « raser toutes ces tours et remettre des trucs à taille humaine ». Dans Orange Mécanique (Stanley Kubrick, 1971), le principal protagoniste, Alex, se sent surpuissant, il laisse libre cours à ses pulsions de violence. Ses parents sont très laxistes, et notamment sa mère qui lui permet de sécher les cours et croit naïvement que son fils fait des petits boulots la nuit. Alex est hors de contrôle, littéralement. Il habite d’ailleurs dans l’immeuble « 18 A de l’alignement nord », un grand ensemble de banlieue – dont les parties communes sont délabrées, ce qui évoque d’une certaine manière la théorie de la vitre brisée [4]. Alex et sa bande se servent dans le supermarché du crime comme si tout était gratuit ; on le voit d’ailleurs très bien lorsqu’il se promène dans une sorte de marché et qu’il prend un journal pour le reposer 10 mètres plus loin. C’est l’Etat qui vient le rappeler à l’ordre de manière ultraviolente, poussée à l’extrême, en l’enfermant et le forçant à repulser tout comportement délinquant. Une question d’opportunité En fait, les milieux urbains abritent plus d’opportunités criminelles, mais pas forcément moins de délinquants. Dans les milieux ruraux, les délinquants n’ont simplement pas l’opportunité de commettre un crime. On aborde ici à la théorie des opportunités développée par Felson et Cohen en 1979 qui détermine trois facteurs pour qu’il y ait passage à l’acte : un délinquant motivé, une cible intéressante et l’absence de gardien capable de prévenir ou d’empêcher le passage à l’acte. Par exemple, un délinquant commettra moins d’atteintes aux personnes à la campagne parce qu’il rencontrera tout simplement moins de potentielles victimes. « Dans les villes, les zones à haut revenu qui voisinent les zones à faible revenu peuvent enregistrer un taux élevé de criminalité. Par ailleurs, des zones rurales à faible revenu peuvent avoir un taux de criminalité faible, parce qu’il y a peu à voler et que les distances sont grandes ». Felson & van Dijk, op cit Comme le fait justement remarquer David Tieleman architecte spécialisé sur les questions de criminologie, « la matérialité de l’environnement [distingue] l’espace privé de l’espace public, par exemple, et [permet] dans un second temps de déterminer la dimension criminelle ou délinquante d’un comportement » (David Tieleman, 2022). Dans certaines zones rurales, les seuls espaces publics sont les trottoirs et les routes quand ils font défaut. Ce qui est autorisé dans l’espace privé peut l’être beaucoup moins dans
Rendre la mort visible

Rendre la mort visible Publié le4 février 2024 © wallhaven Rendre la mort visible La mort est un sujet. On essaie pourtant de la mettre sous le tapis. Au contraire, il faudrait plutôt l’appréhender comme faisant partie de la vie. Quand j’étais enfant, j’avais très peur de la mort. Pour me rassurer, on avait alors dû me dire qu’on ne partait jamais de la mémoire de ceux qui restent, qu’on ne mourait jamais en quelque sorte. Je m’étais alors imaginé que chaque fois qu’un vivant pensait à un mort, ce dernier revivait un court instant. Ce n’était pas abstrait, je pensais vraiment que le mort se réveillait et nous regardait parmi les nuages ou que sais-je encore. Je m’imaginais mort. Mes enfants allaient surement beaucoup penser à moi, peut être aussi mes petits-enfants, mais mon empreinte dans la mémoire des vivants allait irrémédiablement s’effacer complétement. Un jour, je ne me réveillerai plus. Je ne me rappelle pas si j’étais allé jusqu’à cette conclusion. La tentation de fantasmer la mort est forte. D’aucuns préfèrent imaginer que le mort part dans les étoiles et qu’il veille sur nous, qu’il s’endort paisiblement ou bien qu’il rêve à l’infini. Cette occultation de la réalité de la mort se réalise dès le plus jeune âge, certainement parce que les adultes ont connu la tristesse de la perte et veulent l’épargner à leurs enfants. Dans le film La vie est belle (1997), le père fait tout pour que son fils ne perçoive pas la mort qui plane au dessus d’eux. Mourir deux fois Norbert Elias disait dans son fameux article La solitude du mourant (1985) que « si la chaîne du souvenir se rompt, si la continuité d’une société déterminée ou de la société humaine en général est interrompue, le sens de tout ce que ses membres ont accompli au cours des millénaires, de ce qu’ils ont tenu pour précieux, disparaîtra du même coup. » On conviendra que mourir, c’est mourir deux fois ; une fois chez les vivants et une fois chez les morts. Mais, explique Elias, ce qui inquiète ce n’est pas de mourir, mais « la représentation anticipatrice de la mort. […] Pour les morts il n’y a plus ni crainte ni joie. […] On entre dans un rêve et le monde disparaît – si tout se passe bien ». Mourir ce n’est rien. Le vrai sujet concerne notre appréhension de la mort, c’est-à-dire le fait d’y réfléchir encore vivant. Elias prouve que c’est une peur récente liée à ce qu’il nomme le processus de civilisation et plus en particulier, à l’occultation de la mort. Au contraire, il faudrait rendre la mort visible car nous n’avons plus les armes pour accompagner les anciens qui meurent alors seuls, à se demander ce qu’il restera d’eux. Ceux qui meurent nous mettent mal à l’aise car ils nous rappellent notre finitude. « Je meurs », disent-ils. « Impossible », leur répondons-nous. Il y a donc incompréhension, une gêne qui nous éloigne d’eux. Nous le regrettons une fois trop tard. « La mort n’est pas effrayante […] Terribles, en revanche, peuvent être les souffrances des mourants et le deuil des vivants lorsqu’ils perdent un être cher […] La mort ne recèle aucun mystère. Elle n’ouvre aucune porte. Elle est la fin d’un être humain. Ce qui survit de lui est ce qu’il a donné aux autres hommes, ce qui se conservera dans leur mémoire. ». Norbert Elias dans La solitude du mourant, 1985 Certes, ils vont mourir, inévitablement. Tout l’enjeu est de les faire partir le sourire aux lèvres. Le problème, c’est que seuls, ils se croient sans aucune valeur. Ils sont isolés, voient une culture remplacer la leur… Sans valeur nous ne sommes plus rien. On s’imagine ainsi comme un simple débris sans âme qui n’a plus aucune utilité ici-bas. Certes, on vit encore, notre cœur bat toujours, mais on souffre. Cette situation peut d’ailleurs mener à ce que Durkheim a appelé le suicide égoïste ; l’individu n’est plus suffisamment attaché aux autres et alors il s’exile dans les plaines froides des limbes. Perte de liens De manière plus récente (ou plutôt plus récemment médiatisé), on observe également une demande de suicide assisté. Les demandeurs expliquent par exemple que plus rien ne les retient ici-bas, qu’ils devraient partir le plus vite possible pour souffrir le moins possible. Norbert Elias dirait surement que cette perte de liens est justement la conséquence de l’occultation de la mort (elle-même conséquence du processus de civilisation) et que l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) est le produit de notre société individualiste. On ne s’occupe plus des mourants et ils se retrouvent donc seuls dans les derniers instants, à se demander ce qu’il restera d’eux. Cette occultation conduit à la solitude du mourant, à l’ « homo clausus ». Elias nous enjoint plutôt à rappeler leur valeur aux mourants, afin de les laisser partir l’âme en paix : « Aujourd’hui, nous nous efforçons avant tout de venir au secours des mourants en soulageant leurs souffrances et en assurant autant que possible leur bien-être physique. Par là nous leur montrons que nous n’avons pas cessé de les considérer comme des êtres humains. Toutefois dans les hôpitaux, où les tâches sont nombreuses et multiples, ces soins prennent évidemment un caractère assez mécanique et impersonnel. Les familles aussi se sentent aujourd’hui souvent embarrassées dans ces situations qui sortent de l’ordinaire et ne trouvent pas sans peine les mots qui peuvent réconforter les mourants. Il n’est pas toujours facile de montrer à des êtres qui sont en train de mourir qu’ils n’ont pas perdu toute signification pour d’autres êtres. Lorsque cela se produit, lorsqu’un homme à l’article de la mort sent qu’il ne signifie plus rien aux yeux des individus qui l’entourent, alors il meurt vraiment dans la solitude. » Norbert Elias dans La solitude du mourant, 1985 Aujourd’hui, je me demande si nous en faisons assez pour nos anciens. Les divers établissements de fin de vie (maison de retraite, ehpad) ne sont pas
Sondage : voilà pourquoi on ne te demande jamais ton avis

Sondage : voilà pourquoi on ne te demande jamais ton avis Publié le9 octobre 2023 Image d’illustration Sondage : voilà pourquoi on ne te demande jamais ton avis Le monde des sondages est un monde mystérieux. Il parait presque irréel : comment peut-on savoir ce que pense tout un groupe ? Quand on s’intéresse un peu à la méthode utilisée, on peut être encore plus surpris : la plupart des sondages n’interrogent qu’un millier de personnes pour représenter la France entière, soit 68 millions de personnes… Mais qui donc compose ces groupes de 1 000 personnes ? Sommes-nous floués ? Avant tout, il faut rappeler le but du sondage : en apprendre plus sur les opinions ou les pratiques d’une population précise. Si la population est une classe d’une trentaine de personne, alors il est aisé de leur faire tous passer un questionnaire ou un entretien. Mais lorsqu’il s’agit de populations plus grandes telles que les habitants de la France, on se rabat vite vers une solution moins onéreuse : le sondage par quota. Représentatif et peu cher, tous les instituts de sondage l’utilisent. Son principe est simple, reproduire la population ciblée dans un échantillon savamment confectionné via un tas de détails qui nous paraissent déterminants (âge, genre, domicile, métier, etc.). En France métropolitaine, 55% des habitants ont entre 20 à 64 ans et il y a 52% de femmes (données du 1er janvier 2022 selon l’INED). Les enquêtes portant sur la société française devront donc solliciter un échantillon ayant les mêmes caractéristiques démographiques et sociales. Une fois l’échantillon imaginé, il faut le créer. Les sondeurs pourraient très bien utiliser les bases de données de l’Etat et envoyer un courrier à ceux qui les intéressent. C’est techniquement possible, mais là encore, c’est fastidieux (on peut refuser) et pas forcément permis par la loi. Auto-administration C’est pourquoi les instituts de sondage ont mis en place l’auto-administration de sondages. De leur plein gré, des individus remplissent les échantillons créés en amont. Une fois ces panels complets, ils sont mis en route par des instituts de sondage qui les abreuvent de questions parfois très diverses. Le problème, c’est que pour faire partie de ceux qui répondent, il faut savoir que ça marche de cette manière. De plus, pour attirer les répondants, les instituts de sondage les paient. On peut espérer récolter quelques dizaines d’euros en un mois. Voilà pourquoi vous n’êtes jamais interrogés : tout simplement parce que ce n’est pas la méthode principale utilisée par les instituts de sondage Et ce n’est pas vraiment un problème. La représentativité est sauvée…enfin presque. Le sondage par quota stipule une confiance dans les caractéristiques déterminantes que l’on a choisies au préalable (âge, genre, etc.). Elles sont la garantie d’une bonne représentation de l’échantillon. Mais les facteurs déterminants sont infinis et seuls les plus importants à nos yeux sont utilisés. Il suffit donc qu’un élément nous échappe pour fausser le résultat final. Une méthode qui permettrait de supprimer ce risque est celle du sondage aléatoire. Ce dernier compose une population en piochant des noms au hasard parmi la population cible. Et au bout d’un certain nombre de membres ajoutés à l’échantillon aléatoire, on estime que l’échantillon est représentatif ; les variables que notre regard normatif n’a pas perçues sont intégrées à l’équation par le hasard. De la même manière qu’au bout d’un certain nombre de lancers de pile ou face, la probabilité d’obtenir face tend vers 1/2, peu importe le vent, qui lance et la technique de lancer. Le point négatif de cette méthode de sondage est qu’elle nécessite beaucoup de moyens. L’échantillon doit comporter bien plus de mille individus. Biais L’auto-administration des sondages crée un biais difficilement évaluable. Tous les répondants aux sondages partagent la particularité de vouloir donner leur avis sur un tas de sujets. Mais qu’en est-il alors des avis de ceux qui ne veulent pas les donner ? De ceux qui ne sont pas au courant qu’ils doivent se manifester ? On peut imaginer que ces deux facteurs soient déterminants pour quelque réponse que ce soit. On retrouve parfois un discours très critique envers les sondages. Ils seraient notamment truqués afin de favoriser tel ou tel candidat politique. Voilà le biais de l’auto-administration. Néanmoins, le sondage reste plutôt fiable dans sa méthodologie et on pourrait plutôt le critiquer en soi : pourquoi pose-t-on cette question ? Les réponses données sont-elles comparables ? N’y-a-t-il pas un risque de prophétie auto réalisatrice ? Autant de questions auxquelles Pierre Bourdieu répond dans son article dédié intitulé “L’opinion publique n’existe pas” que je conseille fortement de lire. Sur le même sujet Retourner au menu
Pourquoi les violeurs ne sont-ils jamais condamnés ?

Pourquoi les violeurs ne sont-ils jamais condamnés ? Publié le23 juillet 2023 Fraîchement acquitté, Benjamin Mendy va garder un maillot orange la saison prochaine. Photo Sipa/Peter Powell Pourquoi les violeurs ne sont-ils jamais condamnés ? Samedi 15 juillet, Benjamin Mendy a été déclaré non coupable de viol par la justice anglaise. 5 jours plus tard, mercredi 19 juillet, le tricolore a signé au FC Lorient. Peut-être est-il tout à fait innocent. Il n’empêche que l’image que renvoie cette affaire est très symbolique et révèle une certaine impunité. La justice n’en a-t-elle rien à faire des violeurs ? Selon la dernière enquête CVS (Cadre de vie et sécurité) de l’Insee, seuls 0,6 % des viols auraient abouti à une condamnation en 2020. Mais vous serez d’accord que pour qu’un violeur soit condamné, il faut qu’une plainte soit déposée. Ce qui est malheureusement rarement fait. Ce 0,6 % est rarement bien expliqué. En 2020, en France, 0,6% des viols déclarés ont effectivement donné suite à une condamnation. On compare en fait le nombre de viols déclarés avec le nombre de condamnations pour viol une année donnée. Parmi les victimes déclarées de viol, beaucoup n’ont jamais posé les pieds dans une gendarmerie et si la victime de viol réussit à y aller, encore faut-il qu’elle soit véritablement reçue. On ne compte plus les témoignages relevant des policiers manquant totalement d’accompagnement [1]. Un problème de droit ? Ainsi, s’agissant des viols pour lesquels une plainte a été enregistrée par la police, les chiffres du ministère de la justice indiquent que seuls 14,7 % ont donné lieu à une peine. Ce qui est toujours effroyablement peu, mais 25 x plus que le chiffre de 0,6%. Je ne dis pas « effroyablement » parce que je considère que le droit français laisse passer les violeurs. Je dis « effroyablement » parce que nous savons que parmi les 85,3% restant il y a énormément de coupables que l’on n’arrive pas à voir. Le viol est un problème social qui n’arrive pas à disparaitre grâce au droit. Ce dernier n’y peut pas grand-chose : le viol est déjà un crime aux lourdes conséquences ; la peine peut aller jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle. C’est autre chose de plus profond qui bloque le processus pénal. D’abord, les preuves de viol sont minces ou alors minimisées. Les souvenirs peuvent être flous et puisque les viols sont pour la plupart commis par un proche, les pressions sont fortes pour abandonner la poursuite. Sans parler des plaintes déposées des mois après le viol ou bien du défi de prouver le non-consentement de la victime. Pour couronner le tout, les preuves matérielles (traces de lutte, coups sur la victime, adn du violeur, etc.) sont parfois disparues quand la victime décide de porter plainte. On touche ainsi au principal problème structurel qui conduit à l’impunité des violeurs : pas de preuve, pas de condamnation. « Il est tout à fait possible que le viol ait eu lieu, mais rien ne peut l’attester. Et s’il reste juste le sentiment ou la sensation d’avoir été victime de quelque chose, cela ne suffit pas à la justice pour déclencher des poursuites pénales ». La sociologue Véronique Le Goaziou dans son livre Viol. Que fait la justice ? [2] Culture du viol La colonne vertébrale du droit français est ainsi la cause de cette impunité. Cependant, on ne peut déroger au principe de présomption d’innocence, car s’il sert les violeurs, il sert aussi les honnêtes citoyens innocents. Il faut donc chercher ailleurs : dans la culture du viol. Ce concept caractérise tout ce qui minimise, normalise ou même encourage le viol et est une grosse partie de la réponse à notre question. Alors même que la loi prévoit de lourdes peines contre les violeurs, ces derniers ne sont jamais condamnés car la culture du viol met des bâtons dans les rouages de la justice. Tout est fait pour désarmer la Justice. La culture du viol prolifère au sein même de la justice, puisqu’elle est rendue par des êtres humains. Aussi emplis de bonnes intentions, les juristes sous soumis par-delà leur volonté à cette idéologie. Le Goaziou a montré à travers l’étude de trois séries de jugements comment les juges minimisaient les plaintes pour viols. La sociologue remarque cependant une nette amélioration dans les jugements plus récents lesquels prennent en compte l’environnement complexe dans lequel évolue la victime de viol. Mais la culture du viol agit également en amont afin de prévenir une potentielle plainte. Plus encore, la culture du viol fait que le coupable comme la victime ne sait pas ce qu’est un viol. Est-ce quand je dis non et que finalement je cède ? Ou plutôt est-ce quand il me prenne de force et me pénètre alors que je me débat ? Le rapport sexuel est même considéré pour certains comme faisant partie du devoir conjugal ; il n’y a donc plus de volonté dans l’acte sexuel mais plus qu’une obligation. Le viol peut et doit être puni Il me parait cependant dangereux de partager le discours de l’impunité dont le fameux 0,6 % en est le symbole. Il faudrait aussi insister sur les bienfaits de la plainte précisément pour lutter contre la culture du viol. « Le faible taux de condamnation des auteurs présumés peut dissuader les victimes de mobiliser l’institution judiciaire » Véronique Le Goaziou On l’a vu, le principal problème réside dans l’absence de plainte qui elle-même est dûe à cette normalisation du viol. Les violeurs sont peu condamnés parce que les victimes ne portent pas plainte en partie à cause de la culture du viol et parce les juges sont sujets à cette dernière. Ainsi, les affaires sont classées sans suite les unes après les autres, remuant encore un peu le couteau dans la plaie des victimes impuissantes. [1] Le 3 avril 2018, des militantes féministes avaient publié des centaines de témoignages sur ce mauvais accueil. Evidemment, ces témoignages n’ont pas été récoltés de manière scientifique, cependant ils semblent assez nombreux et si rarement critiqués qu’il me semble utile de
Mais c’est quoi le genre à la fin ?

Mais c’est quoi le genre à la fin ? Publié le14 avril 2023 Mark Brian est un soixantenaire devenu influenceur sur instagram. Pour lui, « Les vêtements et les chaussures ne devraient pas avoir de genre. » Mais c’est quoi le genre à la fin ? On n’entend parler que de ça. « Attention vos enfants sont la cible d’une propagande LGBT ! », « T’as une bite, t’es un homme ! Point ». Malheureusement le genre a été grandement simplifié et son fondement théorique a carrément disparu des débats, au profit de polémiques sur l’éducation sexuelle par exemple. D’abord, en sciences sociales, le genre est un concept. Selon que l’individu naisse avec un sexe masculin ou féminin (ici encore on pourrait discuter cette classification biologique), il va être doté d’un rôle social correspondant. Ce rôle, c’est le genre. Et qui dit rôle dit physique, comportements et choix attendus. A l’origine, le genre venait expliquer la division de la société entre sexes. Selon les époques et les lieux, les attendus sociaux ne sont pas les mêmes [1]. Par exemple, si aujourd’hui, le rose est associé à la féminité, il était associé à la virilité il y a quelques centaines d’années. Le genre est donc socialement et historiquement construit et absolument pas naturel. Construction sociale De plus, le genre étant attribué avant la naissance, les filles et les garçons sont éduqués tout à fait différemment : c’est la socialisation genrée. A l’école par exemple, il est normal qu’un garçon soit turbulent, et les filles sages et sérieuses – et c’est tout aussi normal que les garçons soient sanctionnés de leur turbulence. C’est peut-être d’ailleurs pour ça que ces dernières ont de meilleurs résultats. Bref, il y a pléthore d’autres exemples qui démentiraient un naturalisme absolu des sexes [2]. Sociologie et biologie Une fois que l’on a dit ça, il n’y a plus vraiment de raison de critiquer le genre. Ce n’est ni un concept de gauche ni un concept de droite. Il sert simplement à expliquer que notre identité de genre est construite, sans nier l’importance du facteur biologique – et non scientifique, car la sociologie est aussi une science. On peut naitre homme biologique tout en étant mal à l’aise avec tous les attendus genrés qui correspondent. En d’autres termes, notre genre assigné à la naissance entre en inadéquation avec notre identité de genre : c’est la fameuse dysphorie de genre. On comprend ainsi pourquoi certains (une infime minorité de la population) font des opérations chirurgicales afin de joindre le genre assigné et l’identité de genre. Le problème étant que lorsqu’on transitionne physiquement après la puberté, le corps comporte parfois encore des caractéristiques des deux sexes. Difficile ensuite d’apparaitre comme on le voudrait. En fait, le genre oblige les individus à se confondre dans la norme selon le genre qu’on leur assigne. Et ce n’est pas foncièrement mauvais puisqu’il a une fonction intégratrice. D’ailleurs pour la majorité d’entre nous, on se soumet volontairement à ces exigences. Mais ne nous méprenons pas, les vrais rebelles, ce ne sont pas les virilistes qui promeuvent des valeurs historiquement associées à l’homme mais plutôt les queers qui se défont des attentes sociales. [1] Aissaoui, S. (2023, 20 mars). Pourquoi le rose est-il aussi mal vu lorsqu’il est porté par les garçons ? | Slate.fr. [2] Duru-Bellat, M. (2016). À l’école du genre. Enfances & Psy, N° 69(1), 90‑100.
Insécurité à Nantes : réponse grâce à des chiffres récents

Nantes a la mauvaise réputation d’être de plus en plus dangereuse. Grace à des statistiques récentes, on voit que ce n’est pas aussi simple.